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L’histoire de la destruction du Sherman ORLEANS à Tante Rose/Marseille

Après avoir pris une part importante dans la libération d’Aubagne et subit ses premières pertes,  le 3°escadron du 2° cuirassier n’a pas encore été sollicité pour prendre part à la libération de Marseille proprement dite. C’est le 4° Escadron qui a ouvert la voie vers le centre-ville,  puis associé au 2° escadron, est parti à l’assaut de Notre  Dame de la Garde et des quartiers environnants, le 3° escadron n’assurant pour sa part, que des tours de garde autour des QG des 5 avenues et de la préfecture. 

 Après avoir gouté à l’accueil chaleureux des Marseillais au Boulevard Longchamp du 23 au 25 Aout, c’est au parc Chanot que les tanks sont désormais stationnés.  Les hommes sont stupéfaits des réserves abandonnées par les Allemands, « de quoi meubler plus de cent ménages »  et en profitent pour nettoyer les chars et se débarbouiller.  Les prisonniers allemands affluent. Le 26 Aout, le « Nice » atteint par un obus perforant durant la bataille d’Aubagne rejoint son escadron après avoir été dépanné. Les cavaliers vont voir le trou laissé dans la tourelle et ont froid dans le dos que cela puisse arriver un jour à leur propre char.

Ce même 26 aout au soir, « Auroch » nom de code du Général Guillaume, patron des Tabors Marocains sollicite l’appui des chars. Ses  goumiers du 1° G.T.M aux prises avec  les défenses des collines du nord de Marseille et plus particulièrement du village de Tante Rose, se font mitrailler depuis les fenêtres, les soupiraux et subissent de lourdes pertes.

Vers 22 heures, le colonel Durossoy, chef de corps du 2° Cuirassier,  ordonne au Sous-Lieutenant MOUSNIER, chef du 2° peloton du 3° escadron, de mettre son peloton à la disposition des tabors et de se tenir prêt à partir à minuit.  Les  chars du 2° peloton,  Orléans, Oléron, Ouessant, Oran et st Odile, s’ébranlent à l’heure dite et prennent la direction du Nord de la ville. Au petit matin, ils sont accueillis à bras ouverts par les goumiers qui se sont heurtés la veille à une farouche résistance allemande.  Ils sont rejoints par les tanks destroyers M10 du peloton de COURTIVRON du 2° escadron du 9° RCA.

 

 L’assaut s’organise. Les tanks destroyer ont une puissance de feu supérieure aux Sherman, mais leurs tourelles ouvertes sur le dessus sont un point de faiblesse quand le combat va se déplacer au milieu des habitations.  Ils resteront en appui  feu pendant que les Sherman du 2° Cuirassier accompagneront l’infanterie jusqu’au coeur du village.

 

La voie d’attaque est un chemin qui est de nos jours le boulevard Marius Bremond. La route est initialement large mais se rétrécit ensuite car elle est bordée  d’un mur en béton de 2 mètres de haut dont on peut toujours voir des tronçons de nos jours.


C’est le temps de l’assaut. Les tanks destroyers neutralisent un canon antichar et prennent à partie les nids de mitrailleuses. La charge des Sherman du 2° peloton débute. Le Sous-lieutenant MOUSNIER, sur l’Orléans, met un point d’honneur à être à la tête de ses hommes, malgré les consignes de prudence prodigués par le Capitaine de Boisredon, son chef d’escadron.  Les chars du 2° Cuirassier sont ornés du drapeau « 1804 », celui de la cavalerie du premier empire et de Murat. L’officier veut rester dans la tradition glorieuse de la cavalerie.

 

 Entourés des goumiers qui les accompagnent au pas de course, les 5 chars du peloton MOUSNIER écrasent tout sur leurs passages.  Cavaliers et fantassins  Marocains se protègent réciproquement. Les goumiers empêchent les soldats ennemis de faire des attaques de près sur les chars, les blindés protègent les fantassins grâce à la puissance de leurs armes. Le binôme est redoutable et  les premières lignes de défenses allemandes sont enfoncées.

.Arrivé au niveau du mur en béton qui la borde sur la gauche, la route se rétrécit. Le st Odile envoie un obus qui perfore le mur, pas d’allemand derrière. Le char quitte la route et continue sa progression de l’autre côté du mur dans la colline.

Trou d'obus et le fameux mur (Photo M. Maertens)

Le boulevard Marius Brémond de nos jours, le trou de l'obus rebouché est toujours visible



L’Orléans fonce seul droit devant mais à cause de l’étroitesse du chemin, les goumiers n’entourent plus le char. Privé de la protection et du regard d’aigle des formidables soldats que sont les montagnards Marocains, le char isolé devient dès lors une proie facile pour les soldats allemands qui se battent avec grand courage et acharnement, il faut dire que les officiers allemands expliquaient que les « Maroccos » étaient de vrais sauvages qui ne faisaient pas de prisonniers. La tourelle de L’Orléans est tournée à droite vers les maisons où sont retranchés les ennemis.

 A gauche, de l’autre côté du fameux mur, un grand pin parasol domine la route au niveau du croisement avec le boulevard de Chypre. Un allemand armé d’un panzerfaust, redoutable bazooka antichar, est embusqué sur une branche en surplomb. Il vise soigneusement l’étoile américaine peinte sur la tourelle quelques jours avant le débarquement de Provence à la demande formelle des américains qui voulaient que les chars soient aisément reconnaissables par leurs chasseurs bombardiers. Ces étoiles sont malheureusement un point de visée facile et seront rapidement barbouillées de peinture kaki mais ce n’est pas encore le cas à Marseille

 Le chasseur de char allemand attend que l’Orléans soit à quelques mètres de lui, et tire quasiment à bout portant. Son projectile touche le char à la base de la tourelle, entre la position du pilote à l’avant du char et celle du Radio Chargeur qui est dans la tourelle. La charge creuse fait un trou de quelques centimètres, presque d’apparence anodine, dans le blindage mais il s’accompagne de la projection sur les occupants de la tourelle, d’un jet de métal en fusion à plus de mille degrés, accompagné d’éclats de métal.

Le Sous-lieutenant MOUSNIER chef de char est tué sur le coup, le cuirassier MULLOR, tireur,  mourra quelques minutes après. Le troisième occupant de la tourelle, le cuirassier MAERTENS, radio chargeur, qui était en train de recharger le canon de 75mm, a le bras gauche déchiqueté et se retrouve criblé d’éclats de métal.  L’un d’entre eux, sera arrêté avant son cœur par un calepin qu’il avait sur la poitrine.

 A 19 ans, benjamin de son peloton, grand sportif et affectueusement surnommé « baby » par ses frères d’armes, il est en excellente condition physique comme la plupart des soldats affectés aux chars. Cela va lui sauver la vie. Il est placé à gauche de la tourelle, alors que l’écoutille de sortie est à droite. Il se faufile d’abord sous le canon de 75mm, puis ne pouvant plus compter sur ses mains, il s’aide de ses aisselles pour s’extraire de la tourelle en flamme par l’écoutille heureusement laissée ouverte par le chef de char. Il se jette sur la plage arrière du char avant de tomber à terre.


Partie du mur détruite par le char Sainte Odile (Photo M. Maertens)

Le mur de nos jours


Arsène ROCA, pilote, bien que blessé, abat un Allemand proche du Sherman avec son pistolet. Enfin, Marcel PUJALTE, aide-pilote,  seul indemne, a le réflexe et le courage de s'élancer à la poursuite de L’Allemand tireur du panzerfaust et de l'abattre d'une rafale de mitraillette.

 

Le Maréchal des Logis PELERIN, chef de char du St Odile, qui progressait de l’autre cote du mur, donne l’ordre à son conducteur René GOUIRAN de défoncer le mur et rejoint le char en feu.

 

Désireux de venger la mort de leurs camarades, les hommes du 2° peloton et les goumiers sont déchainés et écrasent les allemands. Un « malgré nous » alsacien Marcel Scheidecker se précipite vers eux, grimpe sur un char et indique les emplacements où se trouvent les ennemis. Par cet acte, il signe son engagement chez  les goumiers, Il mourra le 5 décembre, au moment où l’armée Française débouchait chez lui en Alsace.

 

 

Pour le cuirassier MAERTENS, très blond, les soucis continuent. Alors qu’il est allongé sur le sol à côté de l’Orléans détruit, les goumiers qui avaient droit de prise, le prennent pour un allemand et le dépouillent prestement de sa montre, de sa bague et de sa chaine en or. Il est sur le point d’être achevé quand un officier hurle en arabe à ses hommes qu’ils s’en prennent à un français. C’est la deuxième fois de la journée qu’il échappe quasi miraculeusement à la mort !


Le cuirassier Maertens  devant son char (photo M. Maertens)

 

Il ne peut être évacué immédiatement car les allemands déclenchent une violente contre- attaque. Les chars doivent à nouveau s’employer pour la stopper à coup de canons et de mitrailleuses alors qu’elle allait déboucher.

 

Un tank destroyer du 9°RCA est victime d’un affaissement de terrain et se retourne. L’équipage est heureusement indemne, mais le char est encadré par des salves de l’artillerie allemande qui doit être neutralisée par les tirs des autres tanks destroyers.

 

Allongé sur le bord de la route, le cuirassier MAERTENS devra attendre les secours plus de deux heures, entouré de l’équipage du St Odile qui le réconforte. Au loin, on entend toujours les rafales de mitrailleuses ainsi que les combats à la grenade et au mortier.

 

Le soir, l’affaire est enfin bouclé, les tabors sont définitivement maîtres des lieux. Tante Rose est libéré c’était un des maillons de la défense du nord de Marseille.

Le soir du 27 aout 1944, le général Schaeffer signalait à l’armée française qu’il souhaitait négocier les conditions d’une reddition. Le lendemain 28 aout, les allemands capitulaient, Marseille était libérée. Pour le 2° cuirassier, qui venait de perdre 15 hommes depuis le débarquement de Provence, c’était le début d’une épopée qui le conduirait en Autriche. Le lendemain, l’Orléans était remplacé par un char de rechange de l’escadron Hors Rang, qui sera baptisé l’Orléans II.

 

Pour le cuirassier MAERTENS, un autre combat commence, il se déroule à l’hôpital d’Aix en Provence. Son bras gauche déchiqueté est amputé. Les chirurgiens cherchent à lui sauver son bras droit pour limiter son handicap. Ce sera mission accomplie au bout de 18 mois d’hôpital notamment grâce à un prisonnier Italien, kiné de sportifs professionnels dans le civil, qui le massera du matin au soir, des jours durant.

 

Il n’aura de cesse depuis, au sein de l’amicale des anciens du 2° Cuirassier, de maintenir le souvenir de ses trop nombreux camarades tombés au combat entre le 15 aout 1944 et le 8 mai 1945 et continue toujours de fleurir la tombe du Sous-Lieutenant MOUSNIER.


Monsieur Maertens et ses camarades sur la tombe du sous Lieutenant Mousnier.

Photo M. Maertens



B. Descales


Copyright Association des Fortifications de Marseille et des Bouches du Rhône.

 

Nous tenons à remercier chaleureusement Monsieur Maertens pour avoir relu et validé ce récit et nous avoir fourni ces photos inédites


Réferences:

Discussions avec Monsieur Maertens

Journal de marche et d'opérations du 9°RCA

Journal de marche et d'opérations du 2° Cuirassier

Texte de la citation de M. Maertens

Discours du Général de Boisredon, ancien chef d'Escadron du 2° Cuirassier, 127/8/1983

"Le Pont Rail de Lutterbach" : Guy Bretones, chez l'Auteur

"La libération avec les chars", Jean Navard,  Nouvelles Editions Latines